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consuelo.

prudences, le ciel ne m’abandonne pas, puisqu’il m’avait conduite auprès de vous. C’est lui qui m’a fait vous rencontrer hier matin au bord de la fontaine où vous m’avez donné votre pain, votre confiance et votre amitié ; c’est lui encore qui a placé, cette nuit, mon sommeil insouciant sous votre sauvegarde fraternelle. »

Elle lui raconta en riant la mauvaise nuit qu’elle avait passée dans la chambre commune avec la bruyante famille de la ferme, et combien elle s’était sentie heureuse et tranquille au milieu des vaches.

« Il est donc vrai, dit Joseph, que les animaux ont une habitation plus agréable et des mœurs plus élégantes que l’homme qui les soigne !

— C’est à quoi je songeais tout en m’endormant sur cette crèche. Ces bêtes ne me causaient ni frayeur ni dégoût, et je me reprochais d’avoir contracté des habitudes tellement aristocratiques, que la société de mes semblables et le contact de leur indigence me fussent devenus insupportables. D’où vient cela, Joseph ? Celui qui est né dans la misère devrait, lorsqu’il y retombe, ne pas éprouver cette répugnance dédaigneuse à laquelle j’ai cédé. Et quand le cœur ne s’est pas vicié dans l’atmosphère de la richesse, pourquoi reste-t-on délicat d’habitudes, comme je l’ai été cette nuit en fuyant la chaleur nauséabonde et la confusion bruyante de cette pauvre couvée humaine ?

— C’est que la propreté, l’air pur et le bon ordre domestique sont sans doute des besoins légitimes et impérieux pour toutes les organisations choisies, répondit Joseph. Quiconque est né artiste a le sentiment du beau et du bien, l’antipathie du grossier et du laid. Et la misère est laide ! Je suis paysan, moi aussi, et mes parents m’ont donné le jour sous le chaume ; mais ils étaient artistes : notre maison, quoique pauvre et petite,