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consuelo.

pour la voix. J’ignore si Consuelo devina, d’après cette bluette, le futur auteur de la Création et de tant d’autres productions éminentes ; mais il est certain qu’elle pressentit un bon maître, et elle lui dit, en lui rendant son manuscrit :

« Courage, Beppo ! tu es un artiste distingué, et tu peux être un grand compositeur, si tu travailles. Tu as des idées, cela est certain. Avec des idées et de la science, on peut beaucoup. Acquiers donc de la science, et triomphons de la mauvaise humeur du Porpora ; c’est le maître qu’il te faut. Mais ne songe plus aux coulisses ; ta place est ailleurs, et ton bâton de commandement est ta plume. Tu ne dois pas obéir, mais imposer. Quand on peut être l’âme de l’œuvre, comment songe-t-on à se ranger parmi les machines ? Allons ! maestro en herbe, n’étudiez plus le trille et la cadence avec votre gosier. Sachez où il faut les placer, et non comment il faut les faire. Ceci regarde votre très-humble servante et subordonnée, qui vous retient le premier rôle de femme que vous voudrez bien écrire pour un mezzo-soprano.

— Ô Consuelo de mi alma ! s’écria Joseph, transporté de joie et d’espérance ; écrire pour vous, être compris et exprimé par vous ! Quelle gloire, quelles ambitions vous me suggérez ! Mais non, c’est un rêve, une folie. Enseignez-moi à chanter. J’aime mieux m’exercer à rendre, selon votre cœur et votre intelligence, les idées d’autrui, que de mettre sur vos lèvres divines des accents indignes de vous !

— Voyons, voyons, dit Consuelo, trêve de cérémonie. Essayez-vous à improviser, tantôt sur le violon, tantôt avec la voix. C’est ainsi que l’âme vient sur les lèvres et au bout des doigts. Je saurai si vous avez le souffle divin, où si vous n’êtes qu’un écolier adroit, farci de réminiscences. »