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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/326

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consuelo.

vous avez été enthousiasmé du talent de… du signor Bertoni, mon camarade.

— Non, vous ne boirez pas davantage, dit Consuelo impatientée en lui arrachant son verre ; ni moi non plus, ajouta-t-elle en retournant le sien. Nous n’avons que nos voix pour vivre, monsieur le professeur, et le vin gâte la voix ; vous devez donc nous encourager à rester sobres, au lieu de chercher à nous débaucher.

— Eh bien, vous parlez raisonnablement, dit Mayer en replaçant au milieu de la table la carafe qu’il avait mise derrière lui. Oui, ménageons la voix, c’est bien dit. Vous avez plus de sagesse que votre âge ne comporte, ami Bertoni, et je suis bien aise d’avoir fait cette épreuve de vos bonnes mœurs. Vous irez loin, je le vois à votre prudence autant qu’à votre talent. Vous irez loin, et je veux avoir l’honneur et le mérite d’y contribuer. »

Alors le prétendu professeur, se mettant à l’aise, et parlant avec un air de bonté et de loyauté extrême, leur offrit de les emmener avec lui à Dresde, où il leur procurerait les leçons du célèbre Hasse et la protection spéciale de la reine de Pologne, princesse électorale de Saxe.

Cette princesse, femme d’Auguste III, roi de Pologne, était précisément élève du Porpora. C’était une rivalité de faveur entre ce maître et le Sassone[1], auprès de la souveraine dilettante, qui avait été la première cause de leur profonde inimitié. Lors même que Consuelo eût été disposée à chercher fortune dans le nord de l’Allemagne, elle n’eût pas choisi pour son début cette cour, où elle se serait trouvée en lutte avec l’école et la coterie qui avaient triomphé de son maître. Elle en avait assez entendu parler à ce dernier dans ses heures d’amertume et de ressentiment, pour être, en tout état de choses,

  1. Surnom que les italiens donnaient à Jean-Adolphe Hasse, qui était saxon.