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consuelo.

comme moi un homme assassiné dans cette même voiture où nous voyageons… »

Joseph ne put s’empêcher de rire ; car cette affirmation de Consuelo avait en effet l’air d’une vision.

« Eh ! ne voyez-vous donc pas tout au moins qu’ils nous égarent ? reprit-elle avec feu ; qu’ils nous conduisent vers le nord, tandis que Passaw et le Danube sont derrière nous ? Regardez où est le soleil, et voyez dans quel désert nous marchons, au lieu d’approcher d’une grande ville ! »

La justesse de ces observations frappa enfin Joseph, et commença à dissiper la sécurité, pour ainsi dire léthargique, où il était plongé.

« Eh bien, dit-il, avançons ; et s’ils ont l’air de vouloir nous retenir malgré nous, nous verrons bien leurs intentions.

— Et si nous ne pouvons leur échapper tout de suite, du sang-froid, Joseph, entendez-vous ? Il faudra jouer au plus fin, et leur échapper dans un autre moment. »

Alors elle le tira par le bras, feignant de boiter plus encore que la souffrance ne l’y forçait, et gagnant du terrain néanmoins. Mais ils ne purent faire dix pas de la sorte sans être rappelés par M. Mayer, d’abord d’un ton amical, bientôt avec un accent plus sévère, et enfin comme ils n’en tenaient pas compte, par les jurements énergiques des autres. Joseph tourna la tête, et vit avec terreur un pistolet braqué sur eux par le conducteur qui accourait à leur poursuite.

« Ils vont nous tuer, dit-il à Consuelo en ralentissant sa marche.

— Sommes-nous hors de portée ? lui dit-elle avec sang-froid, en l’entraînant toujours et en commençant à courir.

— Je ne sais, répondit Joseph en tâchant de l’arrêter ;