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avait été une longue et solennelle vengeance de ce crime. Dans ce moment, Albert, ramené par je ne sais quelle transition d’idées, à sa fantaisie dominante, se croyait Jean Ziska, et s’adressait à elle comme à l’ombre de Wanda, sa sœur infortunée.

Elle résolut de ne point contrarier brusquement son illusion :

« Albert, lui dit-elle, car ton nom n’est plus Jean, de même que le mien n’est plus Wanda, regarde-moi bien, et reconnais que j’ai changé, ainsi que toi, de visage et de caractère. Ce que tu viens de me dire, je venais pour te le rappeler. Oui, le temps du zèle et de la fureur est passé. La justice humaine est plus que satisfaite ; et c’est le jour de la justice divine que je t’annonce maintenant ; Dieu nous commande le pardon et l’oubli. Ces souvenirs funestes, cette obstination à exercer en toi une faculté qu’il n’a point donnée aux autres hommes, cette mémoire scrupuleuse et farouche que tu gardes de tes existences antérieures, Dieu s’en offense, et te la retire, parce que tu en as abusé. M’entends-tu, Albert, et me comprends-tu, maintenant ?

— Ô ma mère ! répondit Albert, pâle et tremblant, en tombant sur ses genoux et en regardant toujours Consuelo avec un effroi extraordinaire, je vous entends et je comprends vos paroles. Je vois que vous vous transformez, pour me convaincre et me soumettre. Non, vous n’êtes plus la Wanda de Ziska, la vierge outragée, la religieuse gémissante. Vous êtes Wanda de Prachatitz, que les hommes ont appelée comtesse de Rudolstadt, et qui a porté dans son sein l’infortuné qu’ils appellent aujourd’hui Albert.

— Ce n’est point par le caprice des hommes que vous vous appelez ainsi, reprit Consuelo avec fermeté ; car c’est Dieu qui vous a fait revivre dans d’autres condi-