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consuelo.

moi ne m’occuper que de vous, ne voir et ne comprendre que vous… aimer, enfin. Ô mon Dieu ! j’aime ! j’aime un être vivant, semblable à moi ! je l’aime de toute la puissance de mon être ! Je puis concentrer sur lui toute l’ardeur, toute la sainteté de mon affection ! C’est bien assez de bonheur pour moi comme cela, et je n’ai pas la folie de demander davantage !

— Eh bien, cher Albert, reposez votre pauvre âme dans ce doux sentiment d’une tendresse paisible et fraternelle. Dieu m’est témoin que vous le pouvez sans crainte et sans danger ; car je sens pour vous une amitié fervente, une sorte de vénération que les discours frivoles et les vains jugements du vulgaire ne sauraient ébranler. Vous avez compris, par une sorte d’intuition divine et mystérieuse, que ma vie était brisée par la douleur ; vous l’avez dit, et c’est la vérité suprême qui a mis cette parole dans votre bouche. Je ne puis pas vous aimer autrement que comme un frère ; mais ne dites pas que c’est la charité, la pitié seule qui me guide. Si l’humanité et la compassion m’ont donné le courage de venir ici, une sympathie, une estime particulière pour vos vertus, me donnent aussi le courage et le droit de vous parler comme je fais. Abjurez donc dès à présent et pour toujours l’illusion où vous êtes sur votre propre sentiment. Ne parlez pas d’amour, ne parlez pas d’hyménée. Mon passé, mes souvenirs, rendent le premier impossible ; la différence de nos conditions rendrait le second humiliant et inacceptable pour moi. En revenant sur de telles rêveries, vous rendriez mon dévouement pour vous téméraire, coupable peut-être. Scellons par une promesse sacrée cet engagement que je prends d’être votre sœur, votre amie, votre consolatrice, quand vous serez disposé à m’ouvrir votre cœur ; votre garde-malade, quand la souffrance vous rendra sombre et taciturne. Jurez que