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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/53

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consuelo.

et l’autre sont vrais, et mon malheur est de n’en pouvoir douter ! mais de savoir si je dois perdre entièrement le jugement et la volonté, ou si je puis triompher du démon qui m’obsède, voilà ce que je ne puis en cet instant. Prenez pitié de moi, Consuelo ! je suis encore sous le coup d’une émotion plus puissante que moi-même. J’ignore ce que je vous ai dit ; j’ignore combien d’heures se sont écoulées depuis que vous êtes ici ; j’ignore comment vous pouvez y être sans Zdenko, qui ne voulait pas vous y amener ; j’ignore même dans quel monde erraient mes pensées quand vous m’êtes apparue. Hélas ! j’ignore depuis combien de siècles je suis enfermé ici, luttant avec des souffrances inouïes, contre le fléau qui me dévore ! Ces souffrances, je n’en ai même plus conscience quand elles sont passées ; il ne m’en reste qu’une fatigue terrible, une stupeur, et comme un effroi que je voudrais chasser… Consuelo, laissez-moi m’oublier, ne fût-ce que pour quelques instants. Mes idées s’éclairciront, ma langue se déliera. Je vous le promets, je vous le jure. Ménagez-moi cette lumière de la réalité longtemps éclipsée dans d’affreuses ténèbres, et que mes yeux ne peuvent soutenir encore ! Vous m’avez ordonné de concentrer toute ma vie dans mon cœur. Oui ! vous m’avez dit cela ; ma raison et ma mémoire ne datent plus que du moment où vous m’avez parlé. Eh bien, cette parole a fait descendre un calme angélique dans mon sein. Mon cœur vit tout entier maintenant, quoique mon esprit sommeille encore. Je crains de vous parler de moi ; je pourrais m’égarer et vous effrayer encore par mes rêveries. Je veux ne vivre que par le sentiment, et c’est une vie inconnue pour moi ; ce serait une vie de délices, si je pouvais m’y abandonner sans vous déplaire. Ah ! Consuelo, pourquoi m’avez-vous dit de concentrer toute ma vie dans mon cœur ? Expliquez-vous vous-même ; laissez-