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consuelo.

reuse des créatures humaines, parce que tu seras toujours la plus juste et la meilleure. Car les méchants et les lâches sont seuls à plaindre, ô ma sœur chérie, et la parole du Christ sera vraie, tant que l’humanité sera injuste et aveugle : Heureux ceux qui sont persécutés ! heureux ceux qui pleurent et qui travaillent dans la peine ! »

La force et la dignité qui rayonnaient sur le front large et majestueux d’Albert exercèrent en ce moment une si puissante fascination sur Consuelo, qu’elle oublia ce rôle de fière souveraine et d’amie austère qui lui était imposé, pour se courber sous la puissance de cet homme inspiré par la foi et l’enthousiasme. Elle se soutenait à peine, encore brisée par la fatigue, et toute vaincue par l’émotion. Elle se laissa glisser sur ses genoux, déjà pliés par l’engourdissement de la lassitude, et, joignant les mains, elle se mit à prier tout haut avec effusion.

« Si c’est toi, mon Dieu, s’écria-t-elle, qui mets cette prophétie dans la bouche d’un saint, que ta volonté soit faite et qu’elle soit bénie ! Je t’ai demandé le bonheur dans mon enfance, sous une face riante et puérile, tu me le réservais sous une face rude et sévère, que je ne pouvais pas comprendre. Fais que mes yeux s’ouvrent et que mon cœur se soumette. Cette destinée qui me semblait si injuste et qui se révèle peu à peu, je saurai l’accepter, mon Dieu, et ne te demander que ce que l’homme a le droit d’attendre de ton amour et de ta justice : la foi, l’espérance et la charité. »

En priant ainsi, Consuelo se sentit baignée de larmes. Elle ne chercha point à les retenir. Après tant d’agitation et de fièvre, elle avait besoin de cette crise, qui la soulagea en l’affaiblissant encore. Albert pria et pleura avec elle, en bénissant ces larmes qu’il avait si long-