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consuelo.

temps versées dans la solitude, et qui se mêlaient enfin à celles d’un être généreux et pur.

« Et maintenant, lui dit Consuelo en se relevant, c’est assez penser à nous-mêmes. Il est temps de nous occuper des autres, et de nous rappeler nos devoirs. J’ai promis de vous ramener à vos parents, qui gémissent dans la désolation, et qui déjà prient pour vous comme pour un mort. Ne voulez-vous pas leur rendre le repos et la joie, mon cher Albert ? Ne voulez-vous pas me suivre ?

— Déjà ! s’écria le jeune comte avec amertume ; déjà nous séparer ! déjà quitter cet asile sacré où Dieu seul est entre nous, cette cellule que je chéris depuis que tu m’y es apparue, ce sanctuaire d’un bonheur que je ne retrouverai peut-être jamais, pour rentrer dans la vie froide et fausse des préjugés et des convenances ! Ah ! pas encore, mon âme, ma vie ! encore un jour, encore un siècle de délices. Laisse-moi oublier ici qu’il existe un monde de mensonge et d’iniquité, qui me poursuit comme un rêve funeste ; laisse-moi revenir lentement et par degrés à ce qu’ils appellent la raison. Je ne me sens pas encore assez fort pour supporter la vue de leur soleil et le spectacle de leur démence. J’ai besoin de te contempler, de t’écouter encore. D’ailleurs je n’ai jamais quitté ma retraite par une résolution soudaine et sans de longues réflexions ; ma retraite affreuse et bienfaisante, lieu d’expiation terrible et salutaire, où j’arrive en courant et sans détourner la tête, où je me plonge avec une joie sauvage, et dont je m’éloigne toujours avec des hésitations trop fondées et des regrets trop durables ! Tu ne sais pas quels liens puissants m’attachent à cette prison volontaire, Consuelo ! tu ne sais pas qu’il y a ici un moi que j’y laisse, et qui est le véritable Albert, et qui n’en saurait sortir ; un moi que j’y retrouve toujours, et