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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/62

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consuelo.

vous rappelle ici les jours qui s’effacent et se renouvellent, d’éternelles ténèbres y entretiennent la nuit. Vous n’avez même pas, je crois, un sablier pour compter les heures. Ce soin d’écarter les moyens de mesurer le temps n’est-il pas une précaution farouche pour échapper aux cris de la nature et aux reproches de la conscience ?

— Je l’avoue, j’ai besoin d’abjurer, quand je viens ici, tout ce qu’il y a en moi de purement humain. Mais je ne savais pas, mon Dieu ! que la douleur et la méditation pussent absorber mon âme au point de me faire paraître indistinctement les heures longues comme des jours, ou les jours rapides comme des heures. Quel homme suis-je donc, et comment ne m’a-t-on jamais éclairé sur cette nouvelle disgrâce de mon organisation ?

— Cette disgrâce est, au contraire, la preuve d’une grande puissance intellectuelle, mais détournée de son emploi et consacrée à de funestes préoccupations. On s’est imposé de vous cacher les maux dont vous êtes la cause ; on a cru devoir respecter votre souffrance en vous taisant celle d’autrui. Mais, selon moi, c’était vous traiter avec trop peu d’estime, c’était douter de votre cœur ; et moi qui n’en doute pas, Albert, je ne vous cache rien.

— Partons ! Consuelo, partons ! dit Albert en jetant précipitamment son manteau sur ses épaules. Je suis un malheureux ! J’ai fait souffrir mon père que j’adore, ma tante que je chéris ! Je suis à peine digne de les revoir ! Ah ! plutôt que de renouveler de pareilles cruautés, je m’imposerais le sacrifice de ne jamais revenir ici ! Mais non, je suis heureux ; car j’ai rencontré un cœur ami, pour m’avertir et me réhabiliter. Quelqu’un enfin m’a dit la vérité sur moi-même, et me la dira toujours, n’est-ce pas, ma sœur chérie ?

— Toujours, Albert, je vous le jure.

— Bonté divine ! et l’être qui vient à mon secours est