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consuelo.

XLVI.

En parlant ainsi, ils arrivèrent à l’embranchement des deux routes où Consuelo avait rencontré Zdenko, et de loin ils aperçurent la lueur de sa lanterne, qu’il avait posée à terre à côté de lui. Consuelo, connaissant désormais les caprices dangereux et la force athlétique de l’innocent, se pressa involontairement contre Albert, en signalant cet indice de son approche.

« Pourquoi craignez-vous cette douce et affectueuse créature ? lui dit le jeune comte, surpris et heureux pourtant de cette frayeur. Zdenko vous chérit, quoique depuis la nuit dernière un mauvais rêve qu’il a fait l’ait rendu récalcitrant à mes désirs, et un peu hostile au généreux projet que vous formiez de venir me chercher : mais il a la soumission d’un enfant dès que j’insiste auprès de lui, et vous allez le voir à vos pieds si je dis un mot.

— Ne l’humiliez pas devant moi, répondit Consuelo ; n’aggravez pas l’aversion que je lui inspire. Quand nous l’aurons dépassé, je vous dirai quels motifs sérieux j’ai de le craindre et de l’éviter désormais.

— Zdenko est un être quasi céleste, reprit Albert, et je ne pourrai jamais le croire redoutable pour qui que ce soit. Son état d’extase perpétuelle lui donne la pureté et la charité des anges.

— Cet état d’extase que j’admire moi-même, Albert, est une maladie quand il se prolonge. Ne vous abusez pas à cet égard. Dieu ne veut pas que l’homme abjure ainsi le sentiment et la conscience de sa vie réelle pour s’élever trop souvent à de vagues conceptions d’un monde idéal. La démence et la fureur sont au bout de ces sortes d’ivresses, comme un châtiment de l’orgueil et de l’oisiveté. »