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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/85

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consuelo.

bien lent, malgré son zèle. L’orage s’éleva, la pluie tomba par torrents. Le vieux cheval que montait le vieux serviteur s’effraya, trébucha vingt fois, et finit par s’égarer dans les bois avec son maître consterné, qui prenait toutes les collines pour le Schreckenstein, et tous les éclairs pour le vol flamboyant d’un mauvais esprit. Ce ne fut qu’au grand jour que Hanz retrouva sa route. Il approcha, au trot le plus allongé qu’il put faire prendre à sa monture, de la ville, où dormait profondément le médecin ; celui-ci s’éveilla, se para lentement, et se mit enfin en route. On avait perdu à décider et à effectuer tout ceci vingt-quatre heures.

Albert essaya vainement de dormir. Une inquiétude dévorante et les bruits sinistres de l’orage le tinrent éveillé toute la nuit. Il n’osait descendre, craignant encore de scandaliser sa tante, qui lui avait fait un sermon le matin, sur l’inconvenance de ses importunités auprès de l’appartement de deux demoiselles. Il laissa sa porte ouverte, et entendit plusieurs fois des pas à l’étage inférieur. Il courait sur l’escalier ; mais ne voyant personne et n’entendant plus rien, il s’efforçait de se rassurer, et de mettre sur le compte du vent et de la pluie ces bruits trompeurs qui l’avaient effrayé. Depuis que Consuelo l’avait exigé, il soignait sa raison, sa santé morale, avec patience et fermeté. Il repoussait les agitations et les craintes, et tâchait de s’élever au-dessus de son amour, par la force de son amour même. Mais tout à coup, au milieu des roulements de la foudre et du craquement de l’antique charpente du château qui gémissait sous l’effort de l’ouragan, un long cri déchirant s’élève jusqu’à lui, et pénètre dans ses entrailles comme un coup de poignard. Albert, qui s’était jeté tout habillé sur son lit avec la résolution de s’endormir, bondit, s’élance, franchit l’escalier comme un trait, et frappe à