Aller au contenu

Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
75
consuelo.

modiant ses chansons mystérieuses. La chanoinesse tremblante, qui joignait ses faibles efforts à ceux des autres femmes pour la retenir dans son lit, lui apparaissait comme le fantôme des deux Wanda, la sœur de Ziska et la mère d’Albert, se montrant tour à tour dans la grotte du solitaire, et lui reprochant d’usurper leurs droits et d’envahir leur domaine. Ses exclamations, ses gémissements, et ses prières délirantes et incompréhensibles pour les assistants, étaient en rapport direct avec les pensées et les objets qui l’avaient si vivement agitée et frappée la nuit précédente. Elle entendait gronder le torrent, et avec ses bras elle imitait le mouvement de nager. Elle secouait sa noire chevelure éparse sur ses épaules, et croyait en voir tomber des flots d’écume. Toujours elle sentait Zdenko derrière elle, occupé à ouvrir l’écluse, ou devant elle, acharné à lui fermer le chemin. Elle ne parlait que d’eau et de pierres, avec une continuité d’images qui faisait dire au chapelain en secouant la tête : « Voilà un rêve bien long et bien pénible. Je ne sais pourquoi elle s’est tant préoccupé l’esprit dernièrement de cette citerne ; c’était sans doute un commencement de fièvre, et vous voyez que son délire a toujours cet objet en vue. »

Au moment où Albert entra éperdu dans sa chambre, Consuelo, épuisée de fatigue, ne faisait plus entendre que des mots inarticulés qui se terminaient par des cris sauvages. La puissance de la volonté ne gouvernant plus ses terreurs, comme au moment où elle les avait affrontées, elle en subissait l’effet rétroactif avec une intensité horrible. Elle retrouvait cependant une sorte de réflexion tirée de son délire même, et se prenait à appeler Albert d’une voix si pleine et si vibrante que toute la maison semblait en devoir être ébranlée sur ses fondements ; puis ses cris se perdaient en de longs sanglots