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consuelo.

qui paraissaient la suffoquer, bien que ses yeux hagards fussent secs et d’un éclat effrayant.

« Me voici, me voici ! » s’écria Albert en se précipitant vers son lit.

Consuelo l’entendit, reprit toute son énergie, et, s’imaginant aussitôt qu’il fuyait devant elle, se dégagea des mains qui la tenaient, avec cette rapidité de mouvements et cette force musculaire que donne aux êtres les plus faibles le transport de la fièvre. Elle bondit au milieu de la chambre, échevelée, les pieds nus, le corps enveloppé d’une légère robe de nuit blanche et froissée, qui lui donnait l’air d’un spectre échappé de la tombe ; et au moment où on croyait la ressaisir, elle sauta par-dessus l’épinette qui se trouvait devant elle, avec l’agilité d’un chat sauvage, atteignit la fenêtre qu’elle prenait pour l’ouverture de la fatale citerne, y posa un pied, étendit les bras, et, criant de nouveau le nom d’Albert au milieu de la nuit orageuse et sinistre, elle allait se précipiter, lorsque Albert, encore plus agile et plus fort qu’elle, l’entoura de ses bras et la reporta sur son lit. Elle ne le reconnut pas ; mais elle ne fit aucune résistance, et cessa de crier. Albert lui prodigua en espagnol les plus doux noms et les plus ferventes prières : elle l’écoutait, les yeux fixes et sans le voir ni lui répondre ; mais tout à coup, se relevant et se plaçant à genoux sur son lit, elle se mit à chanter une strophe du Te Deum de Haendel qu’elle avait récemment lue et admirée. Jamais sa voix n’avait eu plus d’expression et plus d’éclat. Jamais elle n’avait été aussi belle que dans cette attitude extatique, avec ses cheveux flottants, ses joues embrasées du feu de la fièvre, et ses yeux qui semblaient lire dans le ciel entr’ouvert pour eux seuls. La chanoinesse en fut émue au point de s’agenouiller elle-même au pied du lit en fondant en larmes ; et le