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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/90

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consuelo.

horrible crise ; vous ne l’avez pas fait, vous ne l’avez pas voulu ; vous m’avez caché son mal, vous m’avez tous trompé. Vous vouliez donc la perdre ? Votre lâche prudence, votre hideuse apathie, vous ont lié la langue et les mains ! Donnez-moi votre boîte, vous dis-je, et laissez-moi agir. »

Et comme le chapelain hésitait à lui remettre ces médicaments qui, sous la main inexpérimentée d’un homme exalté et à demi fou, pouvaient devenir des poisons, il la lui arracha violemment. Sourd aux observations de sa tante, il choisit et dosa lui-même les calmants impérieux qui pouvaient agir avec promptitude. Albert était plus savant en beaucoup de choses qu’on ne le pensait. Il avait étudié sur lui-même, à une époque de sa vie où il se rendait encore compte des fréquents désordres de son cerveau, l’effet des révulsifs les plus énergiques. Inspiré par un jugement prompt, par un zèle courageux et absolu, il administra la potion que le chapelain n’eût jamais osé conseiller. Il réussit, avec une patience et une douceur incroyables, à desserrer les dents de la malade, et à lui faire avaler quelques gouttes de ce remède efficace. Au bout d’une heure, pendant laquelle il réitéra plusieurs fois le traitement, Consuelo respirait librement ; ses mains avaient repris de la tiédeur, et ses traits de l’élasticité. Elle n’entendait et ne sentait rien encore ; mais son accablement était une sorte de sommeil, et une pâle coloration revenait à ses lèvres. Le médecin arriva, et, voyant le cas sérieux, déclara qu’on l’avait appelé bien tard et qu’il ne répondait de rien. Il eût fallu pratiquer une saignée la veille ; maintenant le moment n’était plus favorable. Sans aucun doute la saignée ramènerait la crise. Ceci devenait embarrassant.

« Elle la ramènera, dit Albert ; et cependant il faut saigner. »