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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/91

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consuelo.

Le médecin allemand, lourd personnage plein d’estime pour lui-même, et habitué, dans son pays, où il n’avait point de concurrent, à être écouté comme un oracle, souleva son épaisse paupière, et regarda en clignotant celui qui se permettait de trancher ainsi la question.

« Je vous dis qu’il faut saigner, reprit Albert avec force. Avec ou sans la saignée la crise doit revenir.

— Permettez, dit le docteur Wetzelius ; ceci n’est pas aussi certain que vous paraissez le croire. »

Et il sourit d’un air un peu dédaigneux et ironique.

« Si la crise ne revient pas, tout est perdu, repartit Albert ; vous devez le savoir. Cette somnolence conduit droit à l’engourdissement des facultés du cerveau, à la paralysie, et à la mort. Votre devoir est de vous emparer de la maladie, d’en ranimer l’intensité pour la combattre, de lutter enfin ! Sans cela, que venez-vous faire ici ? Les prières et les sépultures ne sont pas de votre ressort. Saignez, ou je saigne moi-même. »

Le docteur savait bien qu’Albert raisonnait juste, et il avait eu tout d’abord l’intention de saigner ; mais il ne convenait pas à un homme de son importance de prononcer et d’exécuter aussi vite. C’eût été donner à penser que le cas était simple et le traitement facile, et notre allemand avait coutume de feindre de grandes perplexités, un pénible examen, afin de sortir de là triomphant, comme par une soudaine illumination de son génie, afin de faire répéter ce que mille fois il avait fait dire de lui : « La maladie était si avancée, si dangereuse, que le docteur Wetzelius lui-même ne savait à quoi se résoudre. Nul autre que lui n’eût saisi le moment et deviné le remède. C’est un homme bien prudent, bien savant, bien fort. Il n’a pas son pareil, même à Vienne ! »

Quand il se vit contrarié, et mis au pied du mur sans façon par l’impatience d’Albert :