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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/94

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consuelo.

quelle force ou quelle adresse, nous ne réussissons à l’arrêter. Dieu sait s’il a jamais touché une lancette. Il va l’estropier, s’il ne la tue sur le coup par une émission de sang pratiquée hors de propos.

— Oui-da ! dit le docteur d’un ton goguenard, et en se traînant pesamment vers la porte avec l’enjouement égoïste et blessant d’un homme que le cœur n’inspire point. Nous allons donc en voir de belles, si je ne lui fais pas quelque conte pour le mettre à la raison. »

Mais lorsqu’il arriva auprès du lit, Albert avait sa lancette rougie entre ses dents : d’une main il soutenait le bras de Consuelo, et de l’autre l’assiette. La veine était ouverte, un sang noir coulait en abondance.

Le chapelain voulut murmurer, s’exclamer, prendre le ciel à témoin. Le docteur essaya de plaisanter et de distraire Albert, pensant prendre son temps pour fermer la veine, sauf à la rouvrir un instant après quand son caprice et sa vanité pourraient s’emparer du succès. Mais Albert le tint à distance par la seule expression de son regard ; et dès qu’il eut tiré la quantité de sang voulue, il plaça l’appareil avec toute la dextérité d’un opérateur exercé ; puis il replia doucement le bras de Consuelo dans les couvertures, et, passant un flacon à la chanoinesse pour qu’elle le tînt près des narines de la malade, il appela le chapelain et le docteur dans la chambre d’Amélie :

« Messieurs, leur dit-il, vous ne pouvez être d’aucune utilité à la personne que je soigne. L’irrésolution ou les préjugés paralysent votre zèle et votre savoir. Je vous déclare que je prends tout sur moi, et que je ne veux être ni distrait ni contrarié dans l’accomplissement d’une tâche aussi sérieuse. Je prie donc monsieur le chapelain de réciter ses prières, et monsieur le docteur d’administrer ses potions à ma cousine. Je ne souffrirai plus