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consuelo.

maintenant. M. le comte a deviné avec son coup d’œil d’aigle que je ne suis point de son sexe, et il m’a fait l’honneur d’une déclaration qui a singulièrement flatté mon amour-propre. Bonsoir, ami Beppo ; nous décampons avant le jour. Je secouerai ta porte pour te réveiller. »

Le lendemain, le soleil levant éclaira nos jeunes voyageurs voguant sur le Danube et descendant son cours rapide avec une satisfaction aussi pure et des cœurs aussi légers que les ondes de ce beau fleuve. Ils avaient payé leur passage sur la barque d’un vieux batelier qui portait des marchandises à Lintz. C’était un brave homme, dont ils furent contents, et qui ne gêna pas leur entretien. Il n’entendait pas un mot d’italien, et, son bateau étant suffisamment chargé, il ne prit pas d’autres voyageurs, ce qui leur donna enfin la sécurité et le repos de corps et d’esprit dont ils avaient besoin pour jouir complètement du beau spectacle que présentait leur navigation à chaque instant. Le temps était magnifique. Il y avait dans le bateau une petite cale fort propre, où Consuelo pouvait descendre pour reposer ses yeux de l’éclat des eaux ; mais elle s’était si bien habituée les jours précédents au grand air et au grand soleil, qu’elle préféra passer presque tout le temps couchée sur les ballots, occupée délicieusement à voir courir les rochers et les arbres du rivage, qui semblaient fuir derrière elle. Elle put faire de la musique à loisir avec Haydn, et le souvenir comique du mélomane Hoditz, que Joseph appelait le maestromane, mêla beaucoup de gaieté à leurs ramages. Joseph le contrefaisait à merveille, et ressentait une joie maligne à l’idée de son désappointement. Leurs rires et leurs chansons égayaient et charmaient le vieux nautonier, qui était passionné pour la musique comme tout prolétaire allemand. Il leur chanta aussi des airs auxquels ils trouvèrent une physionomie aquatique,