Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/132

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endroit où ces écoulements devenus libres avaient formé au bord de la rivière un marécage assez étendu, qui n’y était pas autrefois. La rivière n’était pas grande, des arbres abattus par l’orage gênaient son cours en cet endroit-là, et ce qu’elle recevait de la prairie ne pouvait aller plus loin sans effort. Alors les grands roseaux qui dressaient autrefois dans les douves avaient repoussé follement avec leurs compagnons les butomes, les alismas, les souchets, les iris, les renoncules blanches et les véroniques bleues, et autour de toute cette végétation des myriades d’insectes se livraient à leurs jeux. Les grandes et petites demoiselles, phryganes, agrions et libellules rouge-corail, bleues, vertes, diamantées, les perlides légères, les éphémères transparentes ou mouchetées de noir, les ravissantes hémérobes, à la robe diaphane lustrée de rose et lamée d’émeraude, se groupaient, se dispersaient ou se poursuivaient à travers le feuillage élégant de la royale fougère osmunda. Dans les tiges de cette petite forêt vierge fourmillait un monde de coléoptères vêtus de bronze doré, ardoisé ou comme rougi au feu, donacies et gyrins, peuple terrestre qui semble avoir emprunté son éclat aux métaux, comme le peuple aérien des papillons semble emprunter le sien aux fleurs, et le peuple des névroptères aux rayons solaires. Vêtus de couleurs plus sombres, les lourds distiques nageaient avec une surprenante agilité dans l’eau que des nuages de diptères, tipules et cousins effleuraient comme une poussière d’or.

Marguerite se rappela le temps où elle prenait