Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/214

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appelait sa femme la mère Doucette. Ils avaient plusieurs enfants qui tous travaillaient comme eux, n’inventaient pas davantage et ne se plaignaient de rien, tous très-bons, très-doux, très-indifférents, ne faisant rien vite, mais faisant toujours quelque chose et pouvant arriver à la longue à mettre de côté un peu d’argent pour acheter de la terre.

Il y en avait un seul, qu’on appelait Clopinet, qui ne travaillait pas ou presque pas. Ce n’est point qu’il fût faible ou malade ; il était frais et fort, quoiqu’un peu boiteux, très-joli de visage et rose comme une pomme. Ce n’est pas non plus qu’il fût désobéissant ou paresseux ; il n’avait aucune malice et ne craignait pas de se donner de la peine ; mais il avait une idée à lui, et cette idée, c’était d’être marin. Si on lui eût demandé ce que c’était que d’être marin, il eût été bien embarrassé de le dire, car il n’avait guère que dix ans quand cette idée entra dans sa tête, et voici comment elle y entra.

Il avait un oncle, frère de sa mère, qui était parti tout jeune sur un navire marchand et qui avait vu beaucoup de pays. Cet oncle, établi sur la côte de Trouville, venait de loin en loin voir les Doucy, et il racontait beaucoup de choses extraordinaires qui n’étaient peut-être pas toutes vraies, mais dont Clopinet ne doutait point, tant elles lui paraissaient belles. C’est ainsi qu’il prit l’idée de voyager et une très-grande envie d’aller sur la mer, encore qu’il ne l’eût jamais vue et qu’il ne sût pas au juste ce que c’était.

Elle n’était pas loin pourtant, et il eût bien pu