monde ; quand j’en aurai beaucoup, je les vendrai, et j’irai dire à mon père : Je n’ai pas besoin d’être tailleur, et, tout boiteux que je suis, me voilà capable de gagner plus d’argent en un jour que mes frères en un an. Comme cela, le père sera content et me laissera vivre à mon idée.
Il se retrouva donc dans sa solitude avec plaisir. Il était si content d’avoir du pain, et celui qu’il avait acheté était si bon, qu’il ne se régala pas d’autre chose ce jour-là. La crainte de trop jeûner ou d’être trop absorbé par le souci de pêcher chaque repas l’avait un peu inquiété les jours précédens. Sûr désormais de circuler sans crainte et d’acheter ce qu’il voudrait, il ne borna plus son ambition à prendre des petits oiseaux et des petits poissons pour ses repas. Il voulut avoir des choses de luxe, des aigrettes à rendre jaloux tous les habitans du pays et à faire crever de rage le sordide tailleur.
Le lendemain, il fit une chose périlleuse et difficile. Il n’attendit pas le jour pour monter tout au beau milieu des grands pics déchiquetés de la falaise, et il y monta si adroitement et si légèrement qu’il ne réveilla pas un seul oiseau. Alors il se coucha doucement sur le côté, de manière à bien voir sans avoir à faire aucun mouvement. Il ne s’était pas aventuré jusque-là la première fois ; il fut surpris d’y trouver une ruine qu’on ne voyait qu’en y touchant et dont il put s’expliquer la destination. L’endroit était fort bien choisi pour servir de refuge à des oiseaux qui aiment à percher. On avait établi là autrefois une vigie, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui un séma-