Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/285

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pour le porter au château, où le seigneur en faisait une collection empaillée. C’était lui, l’apothicaire, que l’on chargeait de la préparation, et il s’y entendait assez bien : mais il n’avait personne pour l’aider, et le temps lui manquait. S’il venait à trouver un élève soigneux et intelligent, il le paierait volontiers aussitôt qu’il saurait son affaire.

— Prenez-moi, monsieur, dit Clopinet, je suis sûr d’apprendre vite et bien ; même, si cela ne vous offense pas, je vous dirai que je connais les oiseaux mieux que vous. Voilà cette bête que vous appelez paon de mer et dont je ne savais pas le nom ; mais je l’ai vue cent fois en liberté, et je sais comment elle est faite et comment elle se tient. Vous avez voulu lui donner l’air qu’elle a quand elle se bat : ce n’est pas ça, et si c’était une chose qu’on puisse pétrir, je vous montrerais comment elle se pose pour de vrai.

L’apothicaire était homme d’esprit, ce qui fait qu’il comprenait vite l’esprit des autres. Il ne se fâcha point des critiques de Clopinet et lui dit : — Ma foi, essaie ; cela peut se pétrir, comme tu dis, c’est-à-dire qu’on peut changer le mouvement de l’oiseau en appuyant sur les fils de fer qui remplacent les os et les muscles. Essaie, te dis-je ; si tu le gâtes, tant pis ! Un paon de mer n’est pas une chose bien rare. — Clopinet hésita un moment, devint pâle, trembla un peu, réfléchit pour se bien rappeler ; puis tout à coup, saisissant l’oiseau avec beaucoup de délicatesse, mais avec une grande résolution, il lui donna une attitude si vraie et une tournure si fière sans lui gâter une seule plume, que l’apothicaire en fut tout