Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/311

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bon rire qu’il en tomba sur le dos en se tenant les flancs et tapant des pieds. Le tailleur se fût bien fâché s’il l’eût osé, mais il n’osa pas et continua son récit.

— Ce sont les aventures qui m’ont perdu, dit-il ; vous pouvez en rire, mais il n’est que trop vrai que j’ai quitté le pays pour obéir à une veuve qui voulait m’épouser. Elle m’avait fait accroire qu’elle était riche, et j’allais consentir, quoiqu’elle ne fût pas de la première jeunesse, quand je découvris qu’elle n’avait pas le sou, pas même de quoi me payer une misérable dette de cabaret ! Je l’ai donc plantée là, et je revenais par ici, la mort dans l’âme, le gousset vide et le ventre creux, forcé de demander un morceau de pain au boulanger de Villers, lorsque hier soir l’idée me vint de chercher les plumes de roupeau auxquelles j’avais toujours songé. Ce boulanger m’apprit que vous en aviez vendu pour trois mille écus au seigneur de Platecôte, lequel vous avait adopté pour son domestique et son héritier. Voilà du moins ce qu’on raconte dans le pays. Alors je me mis en tête, dussé-je me tuer, de trouver les roupeaux que l’on voyait voler par ici et qu’il fallait surprendre avant le jour lorsqu’ils quittent le bord de la mer. Je partis de Villers à minuit, pensant arriver aux Vaches-Noires avant la marée ; mais il faut croire que le coucou du boulanger retarde, ou qu’il m’avait fait un peu boire, car c’est un homme d’esprit qui aime les gens instruits et qui n’a pas été fâché de me faire goûter son cidre, tout en causant le soir avec moi. Enfin, que le cidre ou le coucou, ou le