Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/361

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— Je n’en sais pas long ; mais c’est mieux que rien, et quand tu voudras…

Je commençai le soir même en devançant d’une heure ma rentrée à la cabane de Bradat. Le plus grand des gars qui servaient le vieux berger, voyant que j’avais bon vouloir, m’enseigna aussi, et je dois dire que, s’il était moins patient que le vieux, il en savait davantage. C’est comme cela que je commençai à en comprendre assez pour être à même de m’exercer tout seul. J’emportai bientôt un livre avec moi, et en prenant, sur le midi, une heure de repos, j’étudiais avec une grande attention et un entêtement aussi solide que celui qui m’attachait au travail de ma rencluse.

Le père Bradât, voyant que ses prudents conseils n’avaient rien changé à ma résolution, prit son parti de ne plus m’en détourner ; seulement il se moquait un peu de moi quand je me laissais aller à parler du géant comme d’un méchant diable, et cela me rendit plus circonspect. Je n’en parlai plus que comme d’un tas de pierres, sans démordre pour cela de mon idée et de ma haine. Les autres gars pensaient pourtant un peu comme moi, qu’il y avait de l’enchantement dans ces maudites roches. Ils avaient ouï parler, en d’autres pâturages de montagne, de certains éboulements qu’on avait voulu endiguer, mais où le démon défaisait chaque nuit la besogne des ouvriers les plus habiles. Ils venaient quelquefois me voir travailler, car je travaillais avec rage, et ils se hasardaient par amitié pour moi à me donner un coup de main ; pourtant ce n’était pas sans un peu