Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/377

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pierres, plus ou moins forts et patients. L’homme capable de reconquérir son domaine comme vous l’avez fait n’est pas ordinaire, et ce qui me frappe le plus en ceci, ce n’est pas seulement cette obstination du paysan, qui est pourtant digne de respect, c’est que vous avez été mû par un sentiment plus élevé que l’intérêt, l’amour filial et la lutte pour la fécondité de la terre, envisagée comme un devoir humain.

— Bien, merci ! reprit Miquelon. Il y a eu cela ; pourtant il y avait aussi quelque chose que vous devez blâmer, la croyance aux mauvais esprits dans la nature.

— Oh ! ceci, vous n’y croyez plus, je le vois bien.

— À la bonne heure ! vous me comprenez. J’étais un enfant nourri de rêveries et sujet aux hallucinations… Et puis je ne comprenais pas le fin mot des croyances. J’ai lu depuis, j’ai vu qu’il n’y avait qu’un Dieu, et que Zeus ou Jupiter n’était qu’un de ses prénoms. Celui qui a mis la foudre dans les nuées n’en veut pas au rocher qu’il frappe, et le rocher qui s’écroule n’en veut pas au pauvre homme qu’il broie. Aussi… vous verrez demain, sur le haut de ma digue, où la terre s’est amoncelée et amendée, que j’ai planté comme un petit bois sacré d’androsèmes et de daphnés sauvages en signe de respect pour les lois de la nature, dont les anciens dieux étaient les symboles.

Je passai une très-bonne nuit sous le toit de Miquelon, et je n’attendis pas le lever du soleil pour aller visiter la rencluse. Miquelon était déjà dans son étable : mais, devinant que j’avais plaisir à être