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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

C’est là le fouet, l’aiguillon des grandes âmes. Je redoute pour toi les préoccupations de l’amour et je crains quelque chose comme cela dans ta tristesse. S’il en est ainsi, j’irai te voir et je te donnerai le courage de briser, s’il le faut, des liens funestes. L’amour, tel que la plupart des hommes et des femmes l’entend, n’est fait que pour les enfants. Il ne convient pas aux esprits sérieux ; il les tiraille et les torture sans jamais les satisfaire.

Je ferai mon possible pour t’aller voir, pour te confesser, et pour te remettre à flot. Tu ne t’appartiens pas, mon vieux ; tu n’as même pas le droit de souffrir pour ton propre compte. C’est une terrible tâche ; mais c’est une grande destinée. Porte le joug et ne te laisse pas tomber dessous. Tu te dois à ta famille, tu te dois à moi aussi, ton meilleur ami. Tu me dois ce grand exemple de la force, ce grand spectacle de la volonté persistante qui m’a soutenue dans mes luttes, qui m’a grandie depuis que je te connais.

Songe à cela. Tu es l’homme que j’estime le plus. Je ne puis m’habituer désormais à vivre sans toi. Songe, vieux Montagne, à ton Laboëtie, qui t’a connu, étant déjà vieux, et qui s’est dépêché de t’aimer beaucoup afin de réparer le temps perdu.

Réponds-moi, explique-toi, et compte que je ne te laisserai pas seul dans cette crise.

Tout à toi.