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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND
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quelle je sacrifierais les sept plus belles étoiles du firmament, si je les avais. Ne quittez toujours pas Genève sans me dire où vous allez. Cet hiver, je serai libre, j’aurai quelque argent (bien que je n’aie pas hérité de vingt-cinq sous : c’est un ragot de journaliste en disette de nouvelles diverses), et j’irai certainement courir après vous, loin des huissiers, des avoués et des rhumatismes.

Je n’ai pas besoin de vous charger de dire à Franz tous mes regrets de ne pas l’avoir vu. Il s’en est fallu de si peu ! Il sait bien, au reste, que c’est un vrai chagrin pour moi. Il n’y a qu’une chose au monde qui me console un peu de toutes mes mauvaises fortunes : c’est que vous me semblez heureux tous deux, et que le bonheur de ceux que j’aime m’est plus précieux que celui que je pourrais avoir. J’ai si bien pris l’habitude de m’en passer, que je ne songe jamais à me plaindre, même seule, la nuit, sous l’œil de Dieu. Et pourtant je passe de longues heures tête à tête avec dame Fancy[1]. Je ne me couche jamais avant sept heures du matin ; je vois coucher et lever le soleil, sans que ma solitude soit troublée par un seul être de mon espèce. Eh bien, je vous jure que je n’ai jamais moins souffert. Quand je me sens disposée à la tristesse, ce qui est fort rare, je me commande le travail, je m’y oublie et je rêve alternativement. Une heure est donnée à la corvée d’écrire, l’autre au plaisir de vivre.

  1. Rêverie, imagination.