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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND


CXC

À M. FRANÇOIS ROLLINAT, À CHÂTEAUROUX


Marseille, 8 mars 1839.


Cher Pylade,

Me voici de retour en France, après le plus malheureux essai de voyage qui se puisse imaginer. Au prix de mille peines et de grandes dépenses, nous étions parvenus à nous établir à Mayorque, pays magnifique, mais inhospitalier par excellence. Au bout d’un mois, le pauvre Chopin, qui, depuis Paris, allait toujours toussant, tomba plus malade et nous fîmes appeler un médecin, deux médecins, trois médecins, tous plus ânes les uns que les autres et qui allèrent répandre, dans l’île, la nouvelle que le malade était poitrinaire au dernier degré. Sur ce, grande épouvante ! la phtisie est rare dans ces climats et passe pour contagieuse. Joignez à cela l’égoïsme, la lâcheté, l’insensibilité et la mauvaise foi des habitants. Nous fûmes regardés comme des pestiférés ; de plus, comme des païens ; car nous n’allions pas à la messe. Le propriétaire de la petite maison que nous avions louée nous mit brutalement à la porte et voulut nous intenter un procès, pour nous forcer à recrépir sa maison infectée par la contagion. La jurisprudence indigène nous eût plumés comme des poulets.