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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

que je vous fais, une guerre de mots, une chicane sur les expressions.

Vous ne vous apercevez pas qu’en m’exprimant une effusion filiale qui me touche et qui m’honore, vous vous servez de mots qui, mal interprétés, seraient le langage de la passion la plus exaltée. J’ai quarante ans ; j’ai toute la raison qu’on doit avoir à mon âge. Loin de moi donc la sotte pruderie de croire que j’ai à me défendre d’une idée folle de la part de qui que ce soit. Ma vie est sérieuse, mes affections sont sérieuses, et mon jugement l’est aussi. Mais je vis parmi des gens calmes aussi, qui, ne connaissant pas l’enthousiasme méridional, ou ne se rappelant pas celui de leur propre jeunesse, ne comprendraient rien à vos lettres si je les leur montrais. Je brûle donc vos lettres aussitôt que je les ai lues, en riant de cette précaution que vous me forcez de prendre, mais aussi en m’étonnant un peu que, vous qui êtes poète, c’est-à-dire artiste dans le choix des mots, ouvrier en fait de langue, comme on dit aujourd’hui, vous fassiez, sans vous en apercevoir, de tels contresens.

Mon fils m’apporte toutes mes lettres le matin à mon réveil, et c’est lui qui me les lit ; lui aussi est d’un caractère tranquille, peu expansif, mais solidement affectueux. Si une de vos dernières lettres avait été ouverte par lui, je ne sais ce qu’il en aurait pensé ; mais je crois bien qu’il m’aurait demandé si vous n’êtes pas un peu fou, et j’aurais été obligée de lui répondre : « Oui, mon enfant, tous les poètes le sont. »