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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

de la journée, je n’entends pas de sonnette dans mon antichambre, personne ne me fait compliment de mes ouvrages ; enfin, j’oublie entièrement que je suis madame Sand, et le peu de gens que je vois ne l’ont, je crois, jamais su. Cela compense bien la pluie.

Mais ce qui n’a pas de compensation, c’est votre éloignement, et, pour surcroît dans ce moment-ci, celui de Maurice, dont je ne suis guère habituée à me passer. Je m’absorbe dans la lecture et j’arrive à oublier où je suis, à me persuader que je vais entendre Enrico sonner la cloche et que le dîner va nous réunir. Je vois en rêve la culotte à carreaux et le paletot crasseux du matin, de cet aimable être. J’entends mon bon Gaston faire la trompette avec son nez pendant que vous allongez le bout des doigts en criant : Polvo ! Je ne me console, lorsque j’aperçois mon erreur, qu’en pensant que la M*** et le P*** sont peut-être là auprès de vous ; et que, si j’y étais, l’une se croirait obligée de me parler littérature et l’autre philosophie transcendante.

Enfin, vous viendrez à Nohant avec Manoël, Gaston Rico, et alors, comme nous n’aurons ni philosophailleurs ni romançaillières, rien ne nous empêchera de mener une vie de cocagne.

Qu’est-ce que c’est que ces troubles d’Espagne ? Est-ce quelque chose ou n’est-ce rien comme le plus souvent ? Vous n’êtes pas inquiète, j’espère et vous espérez toujours Manoël. Embrassez-le pour moi quinze fois au moins quand vous lui écrirez.