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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

vérité est devenu la jouissance de certains hommes spéciaux, savants ou débauchés, qui l’admirent pour son talent, ou le savourent pour son cynisme, la plupart sans en comprendre la portée, l’enseignement sérieux et les beautés infinies. Il y a vingt ans que, dans ma pensée, et même de l’œil, en le relisant sans cesse, j’expurge Rabelais, toujours tentée de lui dire : « Ô divin maître, vous êtes un atroce cochon ! » Maurice faisait le même travail, dans sa pensée. Très fort sur ce vieux langage dont notre idiome berrichon nous donne la clef plus qu’à tous les savants commentateurs, il le goûtait sérieusement et il avait fait (et vous l’avez vue, je crois) une série d’illustrations, dessinées dès son enfance d’une manière barbare, mais pleines de feu, d’originalité, d’invention, et, du reste, parfaitement chastes, comme le sentiment qui lui faisait adorer le côté grave, artiste et profond de Rabelais. Le temps seul me manquait pour réaliser mon désir. Borie s’est trouvé libre de son temps pour quelques mois, et je lui ai persuadé de faire ce travail. Il s’en tire à merveille ; je revois après lui, et l’expurgation est faite avec un soin extrême pour ôter tout ce qui est laid et garder tout ce qui est beau. Maurice, qui dessine assez bien maintenant, reprend en sous-œuvre ses compositions, en invente de nouvelles, et fait sur bois une cinquantaine de dessins qui seront gravés et joints au texte. Ce sera un ouvrage de luxe, et, comme ces publications sont fort coûteuses, nous n’en retirerons peut-être pas grand profit. Mais cela servira à poser