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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Cependant, ces cris, ces menaces me faisaient mal, parce que c’était l’expression de la haine, et c’est là notre calice.

Être haï et redouté par ce peuple pour qui nous avons subi physiquement ou moralement le martyre depuis que nous sommes au monde ! Il est ainsi fait et il sera ainsi tant que l’ignorance sera son lot. Pourtant, on me dit que partout il commence à se réveiller, et en bien des endroits on crie aujourd’hui : « Vive Barbès ! » là où l’on criait naguère (et c’étaient souvent les mêmes hommes) : « Mort à Barbès ! » — « Eh ! mon Dieu, me disais-je, ce martyre, il l’a déjà subi mille et mille fois, et il l’a cherché à tous les instants de sa vie. C’est sa destinée d’être le plus haï et le plus persécuté, parce qu’il est le plus grand et le meilleur. »

Je fais souvent des châteaux en Espagne, c’est la ressource des âmes brisées. Je m’imagine que, quand vous sortirez d’où vous êtes, vous viendrez passer un an ou deux chez moi. Il faudra bien que nous nous tenions tous cois, sous le règne du président, quel qu’il soit ; car la partie, comme vous l’entendiez, est perdue pour un peu de temps. Le peuple veut faire un nouvel essai de monarchie mitigée : il le fera à ses dépens, et cela l’instruira mieux que tous nos efforts. Pendant ce temps-là, nous reprendrons des forces dans le calme, nous apprendrons la patience dans les moyens, les partis s’épureront et l’écume se séparera de la lie. Enfin, la nation mûrira, car elle est moitié verte et moitié