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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

qui sera pour moi une relique sacrée dont mon fils héritera. Il en est digne ; car il a la religion des souvenirs, comme nous.

En disant que je pense à vous tous les jours de ma vie, je ne me sers pas d’une formule vaine. Je mentirais si je disais que je pense tous les jours à tous mes amis. Mais, comme les chrétiens ont certains bienheureux de préférence, auxquels ils s’adressent chaque soir dans leurs prières, je puis dire que j’ai certaines affections sérieuses sur cette terre et ailleurs, dont la commémoration se fait naturellement dans mon âme chaque fois qu’elle s’élève vers Dieu, dans la douleur et dans la foi. Oui, je vois bien qu’il faut que vous alliez en Italie tôt ou tard. Je sais bien que vous lui devez votre vie ou votre mort. C’est notre lot à tous de vivre ou de mourir pour nos principes. Pour vous, l’éventualité est plus prochaine en apparence que pour nous. Ce n’est pas moi qui vous dirai de craindre la souffrance, de reculer devant les périls, et d’éviter la mort. Je vous le dirais, d’ailleurs, sans vous ébranler. La douleur et l’effroi qui me serrent le cœur à cette idée, je ne dois même pas vous en parler ; mais vous seriez mon propre fils, que je ne vous détournerais pas de votre devoir. Que nos amis soient parmi nous ou dans une meilleure vie, nous les sentons toujours en nous et nous les aimons de même ; nous nous sommes dit cela l’un à l’autre et nous le pensons bien profondément. Pourtant, cette idée de séparation ici-bas répugne à la nature, et le cœur saigne malgré lui.