Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 4.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
220
CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

la faute des amis et des médecins, qui m’ont gratifiée dix fois de maladies que je n’avais pas. Prenez garde à cela. Vous me dites que vous êtes découragé et atteint. Ne le dites qu’à moi, tant d’autres se réjouiraient, et ne laissez pas dire que vous êtes malade sérieusement. Songez à tous ces jaloux qui se frotteraient les mains ; les jaloux, c’est tout le monde. Ce ne sont pas seulement les rivaux de métier, ce sont tous les paresseux, tous les incapables, qui souffrent de voir une existence brillante et triomphante. C’est le public tout entier, qui est ingrat et qui aime à voir hésiter et souffrir ceux qu’il encensait hier et qu’il encensera demain si le patient résiste. Vous avez souffert par le théâtre dans ces derniers temps. Trop de tracasseries, d’incertitudes, d’impatiences, et mille choses que je devine, sachant quel est le milieu et comment s’y forgent les immenses contrariétés. Vous devez vous en affecter plus que moi et plus que tout autre, parce que, après les plus grands succès obtenus dans ce temps-ci, vous aviez le droit d’imposer votre pensée, votre forme, toutes les exigences légitimes, toutes les hardiesses, toute la souveraine liberté de votre talent.

Vous avez trouvé l’obstacle aussitôt que les billets de banque ont un peu diminué dans la caisse du théâtre, et vous voilà heurté à l’écueil du siècle : l’argent. Votre talent a grandi ; mais, si les recettes ont baissé, la foi abandonne le directeur, et tous les intermédiaires dont vous avez besoin pour révéler votre génie au public. Le public lui-même s’étonne