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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

me faisait oublier les jambes, vexées d’une ascension de deux heures et d’une descente d’une heure dans des sentiers plus que vilains. Mais quel endroit et quelle vue ! On me disait que je verrais les montagnes d’Afrique ; mais je n’ai vu devant moi que la mer unie, comme un lac incommensurable et tout à fait mystérieux à l’horizon. Le temps était pourtant clair ; je distinguais parfaitement les neiges des Alpes et le col de Tende, Nice, les montagnes de Marseille, etc. Je voyais dix lieues de mer par-dessus la tête du cap Sicier. Mais d’Afrique point, et je savais bien que c’était une blague provençale impossible. N’importe, je t’ai appelé à travers l’espace, et je t’ai souhaité joie et santé. J’étais là à six heures du soir fumant ma cigarette sans que la plus petite brise contrariât mon allumette. Tu vois qu’il y a ici de beaux jours, à la fin des fins, puisque, sur la plus haute cime, au bord de la mer, on trouve cette atmosphère calme.

Je suis revenue en voiture (on fait la moitié du chemin avec un cheval de charretier en nenfort), par un clair de lune splendide, sur une route en zigzag des plus fantastiques. J’étais seule avec le bon Matheron, à qui j’avais confié la garde de mes vieux os. Il ne me quitte pas à la promenade et a le plus grand soin de moi.

J’ai grimpé avant-hier Évenos. C’est le château noir en ruine qu’on voit dans les gorges d’Ollioules ; c’est très beau aussi, mais dans un autre genre et moitié moins haut. Hier, par exemple, j’ai été dé-