Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 5.djvu/96

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Tu en risquais autant avec ton moyen âge ; tu as su vaincre la difficulté et rendre la chose amusante pour le gros public en même temps qu’appréciable aux artistes.

Il faut trouver moyen de faire le même tour de force pour ton Coq. Or il sera très indifférent au public et aux journalistes, qui ne sont pas érudits, — tu peux t’en apercevoir, — que tes personnages soient les ingénieuses personnifications des races antiques. Cela plairait à des savants dans la partie ; mais combien y en a-t-il ? Et le peu qu’il y en a ne te liront même pas : il suffit qu’une chose s’appelle roman pour qu’ils ne l’ouvrent jamais.

Donc, ta science sera perdue et te nuira, si c’est en vue de la science que tu fais ton livre. Il est amusant et plein de grandissimes qualités, c’est bien ; mais il y faut une base qui manque. Il faut un ton, c’est-à-dire une forme, un style qui rattache l’esprit du lecteur à une époque connue de lui. Plus tu la prendras moderne, plus tu auras de lecteurs. La couleur indiano-persane en aura dix sur cent ; personne ne la connaît. La couleur d’Apulée en aura cent sur cent : le type de l’Âne d’or est devenu populaire. Tu vois que c’est bien important, et je te croyais fixé là-dessus. Je voudrais qu’avant d’entreprendre un nouvel Âne d’or, tu fisses du Coq d’or[1] une chose dans cette couleur. Il était convenu qu’un Apulée ou un Lucien

  1. Le Coq aux cheveux d’or, roman de Maurice Sand.