Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 6.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crises d’abattement, mais parce que je ne voudrais pas augmenter ta tristesse déjà si profonde en y ajoutant le poids de la mienne. Pour moi, l’ignoble expérience que Paris essaye ou subit ne prouve rien contre les lois de l’éternelle progression des hommes et des choses, et, si j’ai quelques principes acquis dans l’esprit, bons ou mauvais, ils n’en sont ni ébranlés ni modifiés. Il y a longtemps que j’ai accepté la patience comme on accepte le temps qu’il fait, la durée de l’hiver, la vieillesse, l’insuccès sous toutes ses formes. Mais je crois que les gens de parti (sincères) doivent changer leurs formules ou s’apercevoir peut-être du vide de toute formule à priori.

Ce n’est pas là ce qui me rend triste. Quand un arbre est mort, il faut en planter deux autres. Mon chagrin vient d’une pure faiblesse de cœur que je ne sais pas vaincre. Je ne peux pas m’endormir sur la souffrance et même sur l’ignominie des autres ; je plains ceux qui font le mal ; tout en reconnaissant qu’ils ne sont pas intéressants du tout, leur état moral me navre. On plaint un oisillon tombé du nid ; comment ne pas plaindre une masse de consciences tombées dans la boue ? On souffrait moins pendant le siège par les Prussiens. On aimait Paris malheureux malgré lui, on le plaint, d’autant plus aujourd’hui qu’on ne peut plus l’aimer. Ceux qui n’aiment jamais se payent de le haïr mortellement. Que répondre ? Il ne faut peut-être rien répondre ! Le mépris de la France est peut-être le châtiment nécessaire de l’in-