Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 6.djvu/121

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signe lâcheté avec laquelle les Parisiens ont subi l’émeute de ces aventuriers. C’est une suite des aventuriers de l’Empire : autres félons, même couardise.

Mais je ne voulais pas te parler de cela, tu en rugis bien assez ! Il faudrait s’en distraire ; car, en y pensant trop, on se détache de ses propres membres, et on se laisse amputer avec trop de stoïcisme.

Tu ne me dis pas comment tu as retrouvé ton charmant nid de Croisset. Les Prussiens l’ont occupé ; l’ont-ils brisé, sali, volé ? Tes livres, tes bibelots, as-tu retrouvé tout cela ? Ont-ils respecté ton nom, ton atelier de travail ? Si tu repeux y travailler, la paix se fera dans ton esprit. Moi, j’attends que le mien guérisse, et je sais qu’il faudra aider à ma propre guérison par une certaine foi souvent ébranlée, mais dont je me fais un devoir.

Dis-moi si le tulipier n’a pas gelé cet hiver et si les pivoines sont belles.

Je fais souvent en esprit le voyage ; je revois ton jardin et ses alentours. Comme cela est loin ; que de choses depuis ! On ne sait plus si on n’a pas cent ans !

Mes petites seules me ramènent à la notion du temps ; elles grandissent, elles sont drôles et tendres ; c’est par elles et les deux êtres qui me les ont données que je me sens encore de ce monde ; c’est par toi aussi, cher ami, dont je sens le cœur toujours bon et vivant. Que je voudrais te voir ! Mais on n’a plus le moyen d’aller et venir.

Nous t’embrassons tous et nous t’aimons.