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Deux de mes petits-neveux, mes petits-fils par le cœur, vont partir aussi.


DCCXLV

À GUSTAVE FLAUBERT, À CROISSET


Nohant, 15 août soir, 1870.


Je t’ai écrit à Paris, selon ton indication, le 8. Tu n’y es donc pas ? C’est probable : au milieu d’un tel désarroi, publier Bouilhet, un poète ! ce n’est pas le moment. J’ai le cœur faible, moi ; il y a toujours une femme dans la peau du vieux troubadour. Cette boucherie humaine met mon pauvre cœur en loques. Je tremble aussi pour tous mes enfants et amis qui vont peut-être se faire hacher. Et pourtant, par moments, mon âme se relève et a des élans de foi ; ces leçons féroces, qu’il nous faut pour comprendre notre imbécillité, doivent nous servir. Nous faisons peut-être notre dernier retour vers les errements du vieux monde. Il y a des principes nets et clairs pour tous aujourd’hui, qui doivent se dégager de cette tourmente. Rien n’est inutile dans l’ordre matériel de l’univers. L’ordre moral ne peut échapper à la loi. Le mal engendre le bien. Je te dis que nous sommes dans le deux fois moins de Pascal pour arriver au plus que jamais ! C’est toute la mathématique que je comprends.