Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 6.djvu/252

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naturelle subsiste, c’est que l’on se serve mutuellement comme chez les fourmis et les abeilles. Ce concours de tous au même but, on est convenu de l’appeler instinct chez les bêtes, et peu importe ; mais, chez l’homme, l’instinct est amour ; qui se soustrait à l’amour se soustrait à la vérité, à la justice.

J’ai traversé des révolutions et j’ai vu de près les principaux acteurs ; j’ai vu le fond de leur âme, je devrais dire le fond de leur sac : Pas de principes ! aussi pas de véritable intelligence, pas de force, pas de durée. Rien que des moyens et un but personnel. Un seul avait des principes, pas tous bons, mais devant la sincérité desquels il comptait pour rien sa personnalité : Barbès.

Chez les artistes et les lettrés, je n’ai trouvé aucun fond. Tu es le seul avec qui j’aie pu échanger des idées autres que celles du métier. Je ne sais si tu étais chez Magny un jour où je leur ai dit qu’ils étaient tous des messieurs. Ils disaient qu’il ne fallait pas écrire pour les ignorants ; ils me conspuaient, parce que je ne voulais écrire que pour ceux-là, vu qu’eux seuls ont besoin de quelque chose. Les maîtres sont pourvus, riches et satisfaits. Les imbéciles manquent de tout, je les plains. Aimer et plaindre ne se séparent pas. Et voilà le mécanisme peu compliqué de ma pensée.

J’ai la passion du bien et point du tout de sentimentalisme de parti pris. Je méprise celui qui prétend avoir mes principes et qui fait le contraire de ce qu’il dit. Je ne plains pas l’incendiaire et l’assassin