Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 6.djvu/253

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qui tombent sous le coup de la loi ; je plains profondément la classe qu’une vie brutale, déchue, sans essor et sans aide, réduit à produire de pareils monstres. Je plains l’humanité, je la voudrais bonne, parce que je ne peux pas m’abstraire d’elle ; parce qu’elle est moi ; parce que le mal qu’elle se fait me frappe au cœur ; parce que sa honte me fait rougir ; parce que ses crimes me tordent le ventre ; parce que je ne peux comprendre le paradis au ciel ni sur la terre pour moi toute seule.

Tu dois me comprendre, toi qui es la bonté de la tête aux pieds.

Es-tu toujours à Paris ? Il a fait des jours si beaux, que j’ai été tentée d’aller t’y embrasser ; mais je n’ose pas dépenser de l’argent, si peu que ce soit, quand il y a tant de misère. Je suis avare, parce que je me sais prodigue quand j’oublie, et j’oublie toujours. Et puis j’ai tant à faire !… Je ne sais rien ; et je n’apprends pas, parce que je suis toujours forcée de rapprendre. J’ai pourtant bien besoin de te retrouver un peu ; c’est une partie de moi qui me manque.

Mon Aurore m’occupe beaucoup. Elle comprend trop vite et il faudrait la mener au triple galop. Comprendre la passionne, savoir la rebute. Elle est paresseuse comme était monsieur son père. Il en a si bien rappelé, que je ne m’impatiente pas. Elle se promet de t’écrire bientôt une lettre. Tu vois qu’elle ne t’oublie pas. Le polichinelle de la Titite a perdu la tête à force littéralement d’être embrassé et caressé. On