Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 6.djvu/272

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se trouvent en avant de leur époque. Mais, dans cette grande douleur, dans ces secrètes colères, il y a un grand stimulant qui justement nous relève, en nous inspirant le besoin de réagir. Sans cela, je confesse que, pour mon compte, j’abandonnerais tout.

J’ai eu assez de compliments dans ma vie, du temps où l’on s’occupait de littérature. Je les ai toujours redoutés quand ils me venaient des inconnus ; ils me faisaient douter de moi. De l’argent, j’en ai gagné de quoi me faire riche. Si je ne le suis pas, c’est que je n’ai pas tenu à l’être ; j’ai assez de ce que Lévy fait pour moi. Ce que j’aimerais, ce serait de me livrer absolument à la botanique, ce serait pour moi le Paradis sur la terre. Mais il ne faut pas, cela ne servirait qu’à moi, et, si le chagrin est bon à quelque chose, c’est à nous défendre de l’égoïsme ; donc, il ne faut pas maudire ni mépriser la vie. Il ne faut pas l’user volontairement ; tu es épris de la justice, commence par être juste envers toi-même, tu te dois de te conserver et de te développer.

Écoute-moi : je t’aime tendrement, je pense à toi tous les jours et à tout propos : en travaillant, je pense à toi. J’ai conquis certains biens intellectuels que tu mérites mieux que moi et dont tu dois faire un plus long usage. Pense aussi que mon esprit est souvent près du tien et qu’il te veut une longue vie et une inspiration féconde en jouissances vraies.

Tu promets de venir ; c’est joie et fête pour mon cœur et dans la famille.