Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 6.djvu/382

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sans conscience et sans foi, à la vanité, à l’ambition, à la déraison. On la plaignait, l’art le voulait ; mais la leçon restait claire, et elle l’eût été davantage, elle l’eût été pour tous si tu l’avais bien voulu, en montrant davantage l’opinion que tu avais, et qu’on devait avoir de l’héroïne, de son mari et de ses amants.

Cette volonté de peindre les choses comme elles sont, les aventures de la vie comme elles se présentent à la vue, n’est pas bien raisonnée, selon moi. Peignez en réaliste ou en poète les choses inertes, cela m’est égal ; mais, quand on aborde les mouvements du cœur humain, c’est autre chose. Vous ne pouvez pas vous abstraire de cette contemplation ; car l’homme, c’est vous, et les hommes, c’est le lecteur. Vous aurez beau faire, votre récit est une causerie entre vous et lui. Si vous lui montrez froidement le mal sans lui montrer jamais le bien, il se fâche. Il se demande si c’est lui qui est mauvais ou si c’est vous. Vous travaillez pourtant à l’émouvoir et à l’attacher ; vous n’y parviendrez jamais si vous n’êtes pas ému vous-même, ou si vous le cachez si bien, qu’il vous juge indifférent. Il a raison : la suprême impartialité est une chose antihumaine et un roman doit être humain avant tout. S’il ne l’est pas, on ne lui sait point de gré d’être bien écrit, bien composé et bien observé dans le détail. La qualité essentielle lui manque : l’intérêt.

Le lecteur se détache aussi du livre où tous les personnages sont bons sans nuance et sans faiblesse ; il voit bien que ce n’est pas humain non plus. Je crois