pénétrer notre pensée, et c’est là ce que tu lui refuses avec hauteur. Il croit que tu le méprises et que tu veux te moquer de lui. Je t’ai compris, moi, parce que je te connaissais. Si on m’eût apporté ton livre sans signature, je l’aurais trouvé beau mais étrange, et je me serais demandé si tu étais un immoral, un sceptique, un indifférent ou un navré. Tu dis qu’il en doit être ainsi et que M. Flaubert manquera aux règles du bon goût s’il montre sa pensée et le but de son entreprise littéraire. C’est faux, archifaux. Du moment que M. Flaubert écrit bien et sérieusement, on s’attache à sa personnalité, on veut se perdre ou se sauver avec lui. S’il vous laisse dans le doute, on ne s’intéresse plus à son œuvre, on la méconnaît ou on la délaisse.
J’ai déjà combattu ton hérésie favorite, qui est que l’on écrit pour vingt personnes intelligentes et qu’on se fiche du reste. Ce n’est pas vrai, puisque l’absence de succès t’irrite et t’affecte. D’ailleurs, il n’y a pas eu vingt critiques favorables à ce livre si bien fait et si considérable. Donc, il ne faut pas plus écrire pour vingt personnes que pour trois ou pour cent mille.
Il faut écrire pour tous ceux qui ont soif de lire et qui peuvent profiter d’une bonne lecture. Donc, il faut aller tout droit à la moralité la plus élevée qu’on ait en soi-même et ne pas faire mystère du sens moral et profitable de son œuvre. On a trouvé immoral celui de Madame Bovary. Si une partie du public criait au scandale, la partie la plus saine et la plus étendue y voyait une rude et frappante leçon donnée à la femme