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quand une idée superstitieuse le retient : c’est la Providence qui lui a fait faire cette trouvaille, il faut aider la Providence. Il se rassied, fouille encore avec sa canne, et trouve deux louis de vingt-quatre francs. Il s’éloigne alors, va déjeuner au Palais-Royal avec ses vingt-quatre sous, et, tout aussitôt, il court jeter ses quarante-huit francs sur le tapis vert d’une maison de jeu. Il gagne soixante mille livres à la roulette !

Quelle fortune pour un garçon de vingt ans qui n’a encore rien possédé au monde et qui n’a vécu sur un certain pied qu’à la condition d’une soumission absolue, voisine de la domesticité ! Avec soixante mille francs, ou pouvait à cette époque-là, vivre modeste et libre, en rompant avec le funeste milieu où notre colonel avait été élevé. Mais où eût-il pris la notion d’un meilleur sort ? L’idéal de la vie de campagne avec une jolie fermière et de bons paysans était déjà loin. On avait été dragon, on connaissait le plaisir et le bruit. Dès le lendemain, on s’installe en plein Paris, dans un bel appartement, rue de Bourbon (aujourd’hui rue de Lille), on se meuble somptueusement, on achète voiture et chevaux et on s’en va passer fièrement devant