Page:Sand - Elle et Lui.djvu/70

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effort et sans hypocrisie ; vous êtes belle, et je vous désirais ! Mais une femme n’est qu’une femme, et la dernière de toutes nous donne autant de volupté que la plus grande reine. Vous avez eu la simplicité de l’ignorer, et, à présent, il faut rentrer en vous-même. Il faut savoir que la monotonie ne me convient pas, il faut me laisser à mes instincts, qui ne sont pas toujours sublimes, mais que je ne peux pas détruire sans me détruire avec eux… Où est le mal, et pourquoi nous arracherions-nous les cheveux ? Nous nous sommes associés et nous nous quittons, voilà tout. Il n’est pas besoin de nous haïr et de nous décrier pour cela. Vengez-vous en comblant les vœux de ce pauvre Palmer, que vous faites languir ; je serai content de sa joie, et nous resterons tous trois les meilleurs amis du monde. Vous retrouverez vos grâces d’autrefois, que vous avez perdues, et l’éclat de vos beaux yeux, qui s’usent et se ternissent à veiller pour espionner mes démarches. Je redeviendrai, moi, le bon camarade que j’étais ; et nous oublierons ce cauchemar que nous traversons ensemble… Est-ce convenu ? Vous ne répondez pas ? C’est de la haine que vous voulez ? Prenez-y garde ! je n’ai jamais haï, mais je peux tout apprendre, j’ai de la facilité, moi, vous savez ! Tenez, je me suis colleté ce soir avec un matelot ivre qui était deux fois grand et fort comme moi ; je l’ai roué de coups, et je n’ai reçu qu’une égratignure. Prenez garde que je ne sois aussi vigoureux dans l’occasion au moral qu’au physique, et que, dans une lutte d’aversion et de vengeance, je n’écrase le diable en personne sans lui laisser un de mes cheveux entre les griffes !

Laurent, pâle, amer, tour à tour ironique et furieux, les cheveux en désordre, la chemise déchirée et le front ensanglanté, était si effrayant à voir et à entendre, que Thérèse sentit tout son amour se changer en dégoût. Elle était si désespérée de la vie en cet instant, qu’elle ne songea pas seulement à avoir peur. Muette et immobile sur le fauteuil où elle s’était assise, elle laissait couler ce torrent de blasphèmes, et, tout en se disant que cet insensé était capable de la tuer, elle attendait avec un dédain glacial et une indifférence absolue le paroxysme de son accès.

Il se tut quand il n’eut plus la force de parler. Alors elle se leva et sortit sans lui avoir répondu une syllabe et sans jeter sur lui un regard.




VII


Laurent valait mieux que ses paroles ; il ne pensait pas un mot de tout ce qu’il avait dit d’atroce à Thérèse durant cette