Page:Sand - Elle et Lui.djvu/90

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Tu vois, je ne t’ai pas demandé un seul baiser depuis trois jours de tête-à-tête ! Je ne te demande que cette main loyale. Souviens-toi du jour où tu m’as dit : « N’oublie jamais qu’avant d’être ta maîtresse, j’ai été ton amie ! » Eh bien, voilà ce que tu souhaitais, je ne te suis plus rien, mais je suis à toi pour la vie !…

Il s’élança dans la barque, croyant que Thérèse resterait sur le rivage de l’île, et que cette barque reviendrait la prendre quand il serait remonté à bord du Ferruccio ; mais elle sauta auprès de lui. Elle voulait s’assurer, disait-elle, que le domestique qui devait accompagner Laurent, et qui s’était embarqué avec les paquets à la Spezzia, n’avait rien oublié de ce qui était nécessaire à son maître pour le voyage.

Elle profita donc du temps d’arrêt que faisait le petit steamer devant Porto-Venere, pour monter à bord avec Laurent. Vicentino, le domestique en question, les y attendait. On se souvient que c’était un homme de confiance choisi par M. Palmer. Thérèse le prit à l’écart.

— Vous avez la bourse de votre maître ? lui dit-elle. Je sais qu’il vous a chargé de veiller à tous les frais du voyage. Combien vous a-t-il confié ?

— Deux cents lire florentines, signora ; mais je pense qu’il a sur lui son portefeuille.

Thérèse avait examiné les poches des habits de Laurent pendant qu’il dormait. Elle avait trouvé le portefeuille, elle le savait à peu près vide. Laurent avait dépensé beaucoup à Florence ; les frais de sa maladie avaient été très-considérables. Il avait remis à Palmer le reste de sa petite fortune, en le chargeant de faire ses comptes, et il ne les avait pas regardés. En fait de dépense, Laurent était un véritable enfant, qui ne savait encore le prix de rien à l’étranger, pas même la valeur des monnaies des diverses provinces. Ce qu’il avait confié à Vicentino lui paraissait devoir durer longtemps, et il n’y avait pas de quoi gagner la frontière pour un homme qui n’avait pas la moindre notion de prévoyance.

Thérèse remit à Vicentino tout ce qu’elle possédait en ce moment en Italie, et même sans garder ce qui lui était nécessaire pour elle-même pendant quelques jours ; car, en voyant Laurent s’approcher, elle n’eut pas le temps de reprendre quelques pièces d’or dans le rouleau qu’elle glissa précipitamment au domestique, en lui disant :

— Voilà ce qu’il avait dans ses poches ; il est fort distrait, il aime mieux que vous vous en chargiez.

Et elle se retourna vers l’artiste pour lui donner une dernière poignée de main. Elle le trompait sans remords cette fois. Elle l’avait vu irrité et désespéré lorsqu’elle avait autrefois voulu payer ses dettes ; maintenant, elle n’était plus pour lui qu’une mère, elle avait le droit d’agir comme elle le faisait.

Laurent n’avait rien vu.

— Encore un moment, Thérèse ! lui dit-il d’une voix étranglée par les larmes. On sonnera une cloche pour avertir ceux