Page:Sand - Flamarande.djvu/146

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la nuit fut tout à fait venue, il s’endormit en marchant comme si un ressort se fût détendu à l’heure dite. Je le pris dans mes bras. Il était lourd comme un enfant qui dort ; mais j’étais encore jeune et assez robuste, la nuit était pure et fraîche. En n’allant pas trop vite, je ne me fatiguai pas beaucoup.

Pourtant je vis avec plaisir le donjon se dessiner en blancheur vague sur les noires montagnes qui l’entouraient. Je m’arrêtai pour souffler. Il pouvait être dix heures. J’avais encore dix minutes à monter, c’était le plus rude du chemin. Je me hâtai, je savais que les fermiers se couchaient de bonne heure comme tous les paysans habitués à se lever avant le jour. J’étais essoufflé et en nage quand je gagnai la porte de la ferme ; elle était fermée au cadenas, je frappai en vain. Réveiller des paysans dans leur premier sommeil, c’est la chose impossible. Et puis il y a chez presque tous la pensée qu’un voyageur nocturne ne peut être qu’un malfaiteur, qu’un événement nocturne ne peut être qu’une fâcheuse affaire dont il est bon de ne pas se mêler, et que l’honnête homme couché dans son lit ne doit pas s’éveiller pour quelqu’un qu’il ne connaît pas ou pour quelque chose qu’il ne sait pas.

J’aurais facilement escaladé la porte si j’eusse été seul, mais je ne voulais pas compromettre Gaston dans cette aventure, et d’ailleurs les chiens, qui aboyaient faiblement et comme pour l’acquit de