Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/201

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la Fronde, il endossait un vêtement d’une forme et d’une couleur indéfinissables, qu’il appelait sa roquemane ; Dieu sait où il avait pêché ce nom-là ! Puis il embrassait sa femme, qui lui apportait respectueusement une chaise, moyennant quoi il se hissait sur un antique et flegmatique cheval blanc, lequel, en moins de deux petites heures (c’était son expression), le transportait à la ville.

Là, il s’oubliait encore deux ou trois petites heures au cabaret, avant et après ses commissions, et enfin, à la nuit tombante, il reprenait le chemin de la maison, où il arrivait rarement sans encombre ; car tantôt il rencontrait une bande de brigands qui le rouaient de coups, tantôt, voyant venir à lui une énorme boule de feu, son cheval fougueux l’emportait à travers champs, tantôt le diable, sous une forme quelconque, se plaçait sous le ventre de son cheval et l’empêchait d’avancer ; tantôt, enfin, il lui sautait en croupe et prenait un tel poids que le pauvre animal était forcé de s’abattre.

Parti de Nohant à neuf heures du matin, il réussissait pourtant à y rentrer vers neuf heures du soir ; et, tout en dépliant lentement son portefeuille pour remettre les lettres et les journaux à ma grand’mère, il nous faisait le plus gravement du monde le récit de ses hallucinations.

Un jour il eut une assez plaisante aventure, dont il ne se vanta pas.

Perdu dans les profondes méditations que procure le vin, il revenait,