Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« J’eus ce soir-là la satisfaction de conserver la vie à un homme.

C’était un Autrichien. Il y avait un corps étendu à côté de notre feu.

Je l’observai. Il n’était que blessé à la jambe ; mais, accablé de fatigue, et de faim, il respirait à peine. Je le fis revenir avec quelques gouttes d’eau-de-vie. Tous nos gens étaient endormis. J’allai leur proposer de m’aider à transporter ce malheureux à l’ambulance.

Accablés eux-mêmes de fatigue, ils me refusèrent. L’un d’eux me proposa de l’achever. Cette idée me révolta. Excédé aussi de fatigue et de faim, je ne sais où je pus chercher ce que leur dis, je m’échauffai, je leur parlai avec indignation, avec colère, je leur reprochai leur dureté. Enfin, deux d’entre eux se levèrent et vinrent m’aider à emporter le blessé. Nous fîmes un brancard avec une planche et deux carabines. Un troisième chasseur, entraîné par notre exemple, se joignit à nous ; nous soulevons notre homme et, à travers les marais, dans l’eau et dans la vase jusqu’aux genoux, nous le portons à l’ambulance, éloignée d’une demi-lieue. Chemin faisant ils se plaignirent souvent du fardeau et délibérèrent de me laisser seul avec mon blessé, m’en tirer comme je pourrais. Et moi de leur crier courage et de leur débiter, en termes de soldat, les meilleures sentences des philosophes sur la pitié qu’on doit aux vaincus et sur le désir que nous aurions qu’en pareil cas, on en fît autant pour nous. Les